Une siesteC'est un temps de repos avec ou sans sommeilJ'insiste sur le « sans »Parce que dans l'imaginaire collectif on considère la sieste comme un temps de sommeilAlors que ce qui caractérise la siesteC'est en réalité que l'on tend vers le sommeilOn ne dors pas forcémentOn somnoleOn se reposeOn peut aussi dormirMais pas queEt c'est important.
Il faut être allongéOu assisEn tout cas il faut que la tête soit posée sur autre chose que sur son couIl ne faut pas agir physiquementIl faut respirerÊtre calmeEt surtout ne pas parlerLa sieste est silence
Alors quand est-ce qu'on fait la sieste ?Sieste cela veut dire en latinSexta horaLa sixième heureQui correspond à midiSi on considère que le soleil se lève à 6h et se couche à 18hC'est l'heure du milieuCelle à laquelle le soleil est au plus chaudLa lumière la plus forteC'est le temps du milieuC'est le temps entreEntre la première partie de la journéeEt la deuxièmeC'est un passageQui s'effectue au milieu du jourQui repose la première partiePour préparer la secondeOu réfléchit la première partie de la journéePour reposer ou activer la secondeEn tout cas c'est un vide dans lequel il se passe quelque chose.Nous parlerons pour appuyer ma thèseDe la sieste de celui qui travaille.
Alors, on dit que la sieste est un temps pour les enfants, les vieillards, les malades, les fainéantsC'est un temps où l'on ne fait rienUn vide inutileUne perte de tempsDans notre époque où le mot sieste est plutôt péjoratifMême si depuis peu ça changeJe vous expliquerai pourquoi.
La religion chrétienne et musulmane par la suite a instauré la prière à l'heure de la siestePuis préconisé le sommeil à cette heure làEn tout cas pas de repos, sans sommeilPar peur que l'homme n'en profite pour avoir recours à la fornicationPeur du pêché de luxureOn parlera de sieste crapuleuseC'est vrai qu'il fait chaud et qu'on se retrouve dans le domicile conjugalEntre la sexta hora et la sexa hora il n'y a pas grand écart.
Ensuite on parlera des grands hommesDes grands conquérants ou croisés du moyen age comme des personnes qui ne se reposaient jamaisQui ne s'arrêtaient jamais d'avancer, de conquérir.
Plus tard avec les révolutions industriellesPuis l'avènement du fordismeDu travail à la chaineLa sieste deviendra un temps improductif, contre performant.Un temps inutile à la sociétéUne perte de tempsUne perte de croissance économique
Après la seconde guerre mondialeOn parlera un peu mieux de la siesteLe professeur Jouvet en 1950 en parlera dans une conférence comme d'un « médicament »On s'est aperçu qu'elle permettait de récupérerL'anecdote de l'ouvrier avec sa clé à molette dans la main pour faire des micros sommeil à la pause de midiDécouverte absurdeComme si on se rendait compte que donner à manger à l'ouvrier ou le faire dormir huit heures lui permettait de travailler plus efficacement
(La sieste est un besoinLe désir de faire la sieste survient à notre insuLe besoin correspond à une sensation de manque, d'inconfort ou de privation, qui est accompagné par l'envie de la faire disparaitre par un comportement économique et social menant à un mieux-être.)
On s'est donc aperçu au fil d'années d'études scrupuleuses qu'elle augmentait les performancesL'ouvrier travaille mieux et plus vite après une siesteIl est performantDes études seront faites pour définir quel temps de sieste est nécessaire pour la productivité du travailleurElles se contredisent toutes mais ne dépassent pas 20 minutesCela va du micro sommeil au repos de 20 minutes
En Chine la sieste est inscrite dans la constitutionAu Japon elle est obligatoire dans la majorité des entreprisesOn connait la croissance économique et la productivité de ces paysAu Etats Unis la National Sleep Foundation prouve que 5 minutes de sieste fait gagner 18 milliards de dollars par an à l'économieC'est le meilleur équilibre entre ce temps improductif et le temps productifAu delà de 5 minutes, cela retombe à 15 milliards et ainsi de suiteTout récemment, au Portugal, s'est tenu un colloque sur la sieste, pour encourager les travailleurs à la faire parce que les portugais sont des couches-tardDonc improductifsEn préconisant la siesteCette conférence espérait augmenter la productivité des travailleurs portugaisAujourd'hui les traders, consultants et nouveaux riches de la finance vantent ce temps de courte sieste qui Diminue le stressAugmente la productivitéDiminue le risque de maladie coronarienneAugmente la durée de vieDiminue l'anxiétéAugmente la créativitéEt permet de dormir jusqu'à deux heures de moins la nuit.
L'entreprise d'aujourd'hui encourage la siesteMais cherche à la contrôlerA la rendre la plus performante possibleEt la plus économiquement rentable possibleDes étudesPrivées pour la plupart se multiplientCertaines disent que c'est bien dans un certains tempsD'autres mal dans n'importe quel temps.
Notre mode de vieS'accélèreCherche de plus en plus à contrôler le tempsEt celui là Ce temps de la siesteEst un mystèreCar le besoin de sieste survient sans prévenir.On ne décide pas d'un désir de sieste
Mot SiesteQui est la plus simple traduction du « ne rien faire »Il fait jour tout de mêmeEt aujourd'hui ne rien faire en journée fait peurLa peur de l'enfant, du vieillard, du malade ou du fainéantLa peur de l'in-utile àLe peur du videLa peur du vide dans la vieEt le vide se voit d'autant mieux à la lumière que la nuit.
Tout se qu'on peut contrôler de la sieste c'est son réveil, ou son arrêt.C'est une violence que nous avons rendu tolérableQui va du bruit de la clé à molette qui tombe de la mainAux assourdissantes sirènes à la fin de la pause de midi.
Pourquoi la sieste fait peur ?Que représente t-elle pour qu'elle fasse l'objet d'un tel contrôle de la société, de soi-même ?Pourquoi essaie t-on d'en faire une nuit en plein milieu de la journée ?
Pour répondre simplementOn parlera de fatigueA la sixième heure on est fatiguéEt à la sixième heure une activité se termineUne activité utile ou productivePhysique et laborieuseOu même mentalement astreignanteUn travailAu sein d'une communautéPour une communautéA la sixième heure, au milieu de la journéeL'économie du corps pour l'économie d'une société réclame un reposPour l'instantIl est censé reprendre plus tardOn se retrouve seulC'est le moment où l'on quitte une communautéSeul face à la fatigueEt il faudra continuer à agir aprèsEt revenir dans la sociétéNous sommes au milieu de la journée
Je vais m'appuyer sur un texte de Peter HandkeQui s'intitule « essai sur la fatigue »Je vais lire un passage :
« La fatigue me rendait même rebelle ou me faisait me rebiffer ou m'insurger pendant les heures de cours dans les amphithéâtres. En règle générale, c'était moins l'air confiné et l'entassement de ces cohortes d'étudiants que le manque d'enthousiasme des conférenciers pour une matière qui pourtant aurait dû être la leur. Jamais plus je n'ai rencontré de gens aussi peu animés par leur sujet que ces professeurs et ces chargés de cours de l'université ; n'importe quel, oui n'importe quel employé de banque en train de feuilleter des billets de banque qui ne sont pas du tout les siens, oui tous les ouvriers asphalteurs dans la canicule du soleil en haut et du goudron qui cuit en bas, semblaient avoir plus d'âme qu'eux. Des dignitaires rembourrés de sciure dont la voix n'était jamais portée par ce dont ils parlaient, ni par les élans de l'étonnement (celui du bon professeur qui s'étonne encore de son thème), ni par l'enthousiasme, l'inclination, l'interrogation sur soi-même ni par la vénération, la colère ou l'indignation, par leur propre ignorance, qui bien au contraire ne faisaient que débiter, scander, hacher sans cesse. Jamais, il est vrai, de la voix profonde d'un Homère, mais le ton de l'examen qu'ils allaient faire passer %u2013 par intermittence, tout au plus, une inflexion sarcastique ou une allusion haineuse pour initiés, pendant que dehors, devant les fenêtres, tout verdissait et bleutait et l'obscurité venait et la fatigue de l'auditeur devenait répugnance et la répugnance, répulsion. Et comme dans l'enfance, de nouveau : « dehors, sortir, loin de vous tous ! ». Seulement où aller ? Rentrer comme jadis ? Mais là-bas dans la chambre louée, il fallait craindre, pendant la durée des études, une fatigue d'un nouveau genre, inconnue à la maison : la fatigue dans une chambre, en bordure de ville, seul, la « seulfatigue ». »
Alors voilà il termine par le mot « seulfatigue »Tout attachéNous y reviendronsAlors le jeune Peter assiste à des cours ou des conférencesEt se retrouve dans un état qu'il qualifie de « seulfatigue »
Elle vientJe reprends quelques termes :du « manque d'enthousiasme »« peu animés »« la voix jamais portée par ce dont ils parlaient »aucuneinclinationinterrogation sur soi mêmeaucune vénérationaucune colèreaucune indignationCes professeurs au contraire débitentScandentHachent sans cesseSur le ton de l'examenAvec des inflexion sarcastiquedes allusions haineuses pour initiés
Dans ce temps où de la pensée devrait être transmiseElle ne l'est pasIl n'y a pas de penséePas de partage de penséesLe jeune Peter n'est pas animé par la penséeIl sombre dans la « seulfatigue »Qui se conclut par une sieste dans sa chambre
Revenons au terme de « seulfatigue »La traduction française garde cette composition de motsComposition fréquente en allemandMais ici la traduction garde cette quasi-dérivation« Seul » et « fatigue » sont attachésIl n'y a pas d'espace entrePas de trouPas de respiration
Si on prend un microscope et qu'on regarde un texte attentivementIl y a des trous entre les motsDes points entre les penséesDes virgules dans les virages de réflexionsEn tout cas partout il y a des temps entreResserrons la lentille du microscopeEt prenons deux mots au hasardComme si ces deux mots étaient une journée en entierEntre deux motsIl y a un espaceun tempsUn videDans lequel peut s'insérer un signe de ponctuation ou pasOn remarque que ces deux motsNe sont pas les mêmesEt même s'ils le sontIls sont différentsTout ça parce qu'ils sont séparer par un espace, un tempsun vide, une ponctuationUn espace qui permet de poser l'un pour préparer l'autreDe changer le sens du premier pour comprendre le suivantUn espace pour arrêter le premier et reprendre ailleurs lorsque le suivant survientCet espace c'est celui de la penséeDe l'intelligenceDe la réflexionDu lien entreC'est le temps de la penséeUn temps singulier pour chacunDifférent pour chacunEt je reviens au terme de « seulfatigue » du jeune PeterC'est finalement le temps entre qui est supprimé.
Il décrit par là un état d'étouffement de la penséeÇa ne pense pas« Seulfatigue »Et ensuite la sieste.
Revenons à l'échelle de la journéeA l'échelle de la journée la sieste c'est le temps entreL'espace entreLe temps qui permet de séparer seul de fatigueLa sieste c'est le retour vers une pensée libreVers une réflexionVers l'intelligenceLa sieste c'est De la penséeL'appel de la sieste est un appel vers la penséeLa pensée étouffée par le travailLe travail qui n'anime pas la penséeOn saute et tombe dans la sieste pour penser à nouveau.
(Je fais une petite parenthèseSexta hora, la sixième heureSix est le chiffre de l'homme sans DieuDe l'homme qui se réfléchitDu rapport de l'homme à l'hommeL'homme qui penseEt la sixième lettre de l'alphabet est le F, le PhiDe la ré-flèc-tion de la philosophie.)
Alors ce vide qui fait si peurCe temps de sieste, Précédé par la « seulfatigue »C'est finalement de la penséeLe trou pense, le vide pense, le milieu penseEt tel un appel d'airOn tombe dans la siesteLorsque le travail ne fait pas penser.
Alors pour conclureJe dirai tout simplementQue la philosophie et la sociologie, la sémiologie doivent s'emparer de ce tempsEn parler, faire des étudesEt non plus uniquement l'économie.
De deux, je ne veux forcer personne à faire la siesteQuand notre métier est penser, ce besoin ne survient pas forcémentJe désire juste que l'on libère ce tempsPar la penséeNotamment pour tous les travailleurs à la chaine, et autres ouvriersEt peut-être encore plus pour tous les rois du management, de l'action et de la stock option.J'ai fait un rêveD'un trader qui faisait une sieste de deux heures comme celles que faisait André Gide.
Et que le meilleur moyen de lutter aujourd'huiL'arme que nous avons tous sans en avoir la conscienceC'est ce besoin de siesteA lui seul, avec le temps qu'il prendQui nous est propre et singulierIl pourrait déclencher une révolutionSi tout simplement on arrivait à penser que ne rien faireC'est peut être faire plus.
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"C'est moi qui suis là."
Tous sont dans leur droit.
- Ironie fervente. -
www.subfactory.fr/forum.html#thread/19769/1/1200464
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