Nous nous sommes procurés les décisions Lafesse / Omar et Fred contre Dailymotion rendues par le tribunal de grande instance de Paris. Le contenu de ces deux jugements est intéressant, car il met un frein aux déraillements constatés dans la justice ces derniers mois dans l'application de la responsabilité des sites web.
Pour résumer, Omar et Fred d'un côté et Lafesse de l'autre estimaient que Dailymotion était bien éditeur en raison de plusieurs constats : Dailymotion sélectionne la taille des fichiers à mettre en ligne, il en modifie le contenu de par le réencodage vidéo, il fait des choix éditoriaux en imposant une architecture du site. Enfin, il perçoit des revenus des publicités publiées sur ses pages. Bref, un faisceau d'indices, un environnement qui ne serait en rien compatible avec le métier d'hébergeur et qui ne concernerait donc que la fonction d'éditeur.
Le TGI de Paris va éviter de tomber dans ce piège. Alors que ces critères ont été réputés valables par de nombreux juges en référés, le TGI a rappelé qu'un éditeur est « la personne qui détermine les contenus qui doivent être mis à la disposition du public sur le service qu'elle a créé et dont elle a la charge ». Ni plus, ni moins. Alors, oui Dailymotion a créé un site dont elle a la charge, mais non, Dailymotion ne détermine pas le contenu mis à la disposition du public. Et qu'importe les questions de limite de taille du fichier, ou de réencodage qui sont étrangères à ce critère de « détermination » et qui ne concernent que les limites techniques inévitables pour les services en ligne.
La correction vient ensuite : « le fait de structurer les fichiers mis à la disposition du public selon un classement choisi par le seul créateur du site ne donne pas à ce dernier la qualité d'éditeur tant qu'il ne détermine pas les contenus des fichiers mis en ligne ». C'est la fin de l'hémorragie Martinez vs Fuzz qui se dessine : la question de l'organisation, de la structure du site, ne qualifie en rien la qualité – hébergeur ou éditeur – du service en ligne. Et les juges du TGI de Paris en tiennent pour preuve qu' « il n'est pas démontré qu'un internaute qui choisirait de classer sa vidéo dans une rubrique inadaptée se verrait rejeter a priori son envoi ».
Mais la correction tourne rapidement à la claque magistrale : le TGI dit bien que la commercialisation d'espaces publicitaires ne permet pas de sauter du statut d'hébergeur à celui d'éditeur. La décision est raisonnable : « rien dans le texte de loi n'interdit à un hébergeur de tirer profit de son site en vendant des espaces publicitaires », à la condition que « les partenariats auxquels il consent, ne déterminent pas le contenu des fichiers postés par les internautes ». les ayants droit seront-ils surpris d'apprendre qu'on peut gagner de l'argent tout en restant hébergeur ? Mais le juge en rajoute une belle couche : « En refusant aux hébergeurs de vivre de la publicité, et en ajoutant ce critère à celui fixé par la loi, les demandeurs détournent le texte ». Un camouflet, alors que la responsabilité des hébergeurs est justement définie « dans une loi qui traite du commerce électronique » !
Le tribunal continue : relativement aux contenus « manifestement illicites » qui doivent être retirés sans attendre, le juge estime que ces contenus ne concernent que les éléments dont le caractère illicite ne fait aucun doute et n'appelle pas d'autres examens que celui de l'évidence : les contenus liés à l'incitation à la haine raciale, la pédophile, ou le crime contre l'humanité. Point final de la liste limitative.
Pour les autres cas, dont les cas de contrefaçon – c'est un missile contre les majors – le site doit avoir été alerté selon les règles de l'art avec le formalisme propre à la LCEN. Le passage est fondamental : « La connaissance effective du caractère manifestement illicite d'une atteinte aux droits patrimoniaux ou moraux des auteurs ou producteurs ne relève d'aucune connaissance préalable et nécessite de la part des victimes de la contrefaçon qu'ils portent à la connaissance de la société qui héberge les sites des internautes, les droits qu'ils estiment bafoués », en suivant le formalisme rigoureux de la LCEN. C'est là encore un coup d'arrêt au grand n'importe quoi jurisprudentiel constaté ces derniers mois et une sérieuse victoire pour les rédacteurs de la LCEN qui ont vu, au fil de l'eau, le texte s'effriter à coup de lobbying.
Le juge n'achèvera pas ce festin aussi rapidement : il reprochera encore aux demandeurs de ne pas avoir correctement identifié les vidéos problématiques, mais d'avoir tardé jusqu'à l'assignation pour donner cette information pourtant essentielle. Comment vouliez-vous que Dailymotion soit en mesure de retirer tel contenu illicite si l'ayant droit lui-même n'était pas capable d'identifier avec certitude le contenu problématique avant de porter plainte ? Dailymotion, qui s'est vu remettre le DVD du spectacle d'Omar et Fred sera toutefois contraint par le juge à cesser la rediffusion de ce contenu sur son site. Autant dire que la technologie de filtrage de l'INA, utilisé par la plate-forme, sera bien utile.
Enfin, Lafesse, Omar et Fred faisaient état d'une violation de leur droit à l'image, un des droits dits de la personnalité. Là encore, le juge imposera le strict respect de la LCEN pour quiconque souhaite mettre en cause la responsabilité de l'hébergeur d'une atteinte à un droit à l'image. Ce respect s'impose donc quel que soit l'angle d'attaque (droit de la personnalité, etc.). Autant dire que l'argument sera examiné de près par les acteurs des affaires Olivier Martinez où tout a été fait pour que le traitement des atteintes à la vie privée soit jugé en dehors de la problématique de la LCEN.
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La seule certitude de la vie, c'est la mort.
Courage, soyons heureux !
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